Coups de cœur
Absent de Bagdad de Jean-Claude Pirotte
Chaos perpétuel.
En toute simplicité, Jean Claude Pirotte imagine les carnets intimes d'un prisonnier kurde, dans une prison irakienne. Ici, maintenant. Les témoignages des tortures et des humiliations subies s'accompagnent d'une révélation paradoxale puisque le narrateur découvre, en déshérence, les germes de sa liberté spirituelle et les secousses d'une mémoire sensorielle d'une incroyable vivacité. Là où les bourreaux restent prisonniers de leurs peurs enfantines et de leurs fantasmes culpabilisateurs, le narrateur savoure, lui, les délices dans lesquels son esprit le plonge. Cette liberté conquise sur les criminels le conduit alors sur les chemins sinueux de la foi. A quoi bon des dieux en temps de détresse? « Il n'y a de Dieu que celui qui réconcilie les hommes avec eux mêmes. » « En Dieu se confondent le bien et le mal (...) et si Dieu se révèle à nous, c'est en nous aveuglant. » Dès lors, l'incarcération débouche sur un sentiment inaliénable de lucidité victorieuse. Conscience politique ? Affront contre lequel les bourreaux ne peuvent rien, la parole constituant la plus impérissable des résistances.
Olivier Rachet
Ballaciner de J.M.G. Le Clézio
Lumière !
À l'instar de Michel Tremblay dans Vues animées, Le Clézio nous livre dans ce roman ses souvenirs cinématographiques. Ballades vagabondes mêlant portraits et récits de films, intermèdes nostalgiques et analytiques, ces textes parfois décousus sont un hommage rendu au septième art. L'auteur devient beaucoup plus convaincant lorsqu'il situe le cinéma sur un plan politique. La critique à peine voilée de l'industrie hollywoodienne s'accompagne alors d'une réhabilitation du cinéma bollywoodien mais surtout du cinéma japonais de l'après seconde guerre mondiale dont l'universalité séduit tout autant que son ancrage dans une temporalité de la désolation. Car le septième art constitue une figure toujours intacte de la résistance et de la liberté même de penser. Qu'il s'agisse d'évoquer Mizoguchi, Ozu, Pasolini, Jean Vigo ou le jeune cinéma coréen, Le Clézio a le mérite de remettre en mouvement un art dont l'ambition n'est autre que métaphysique : révéler l'être enfoui derrière les apparences spectrales du réel, comme le rappellent ces mots de Parménide, placés en exergue de l'ouvrage : « Claire dans la nuit, autour de la terre errante, sa lumière vient d'ailleurs ».
Le cinéma n'est-il pas aussi la preuve, la trace invisible, que la vie ne
suffit pas ?
Olivier Rachet
Le néogâtisme gélatineux de Daniel Accursi
Éloge de la pataphysique.
Le néo gâtisme gélatineux est un savoureux concept burlesque forgé par Daniel Accursi pour décrire la pensée conformiste décervelée soumise aux lois de la Phynance mondiale et au recyclage des clichés les plus éculés et les plus rétrogrades. Pensée réactionnaire et policière tout autant fascinée par la pulsion de mort d'un troisième âge planétaire néo-conservateur qu'enivrée par une volonté de puissance toujours plus infantile et débilitante qui s'amollit dans la transparence gélatineuse de ses propres désirs individualistes. Le NÉOGATEUX est une « espèce d'Ubu sacrificateur et purificateur. Mélange d'esprit sénile acariâtre et d'avidité juvénile. » A ce désastre écervelé, Accursi oppose, en un rire destructeur et salvateur à la fois, le cri de révolte d'une Pataphysique en éternelle ébullition. Forgée en son temps par Alfred Jarry, la Pataphysique, mère nourrice du dadaïsme, en appelle encore et toujours à un dépassement de la métaphysique, néo-conservatisme galopant du triomphe de l'être sur le Rien, à l'origine de toutes choses. A l'heure où l'on assiste, spectateurs hébétés de nos vies dépossédées, aux règnes bellicistes des êtres suprêmes les plus archaïques (Dieu, la Nation, l'Identité, l'Ordre et la Police), il est bon de crier Merdre et d'opposer à l'esprit de sérieux mortifère les salves d'un rire inépuisable et salutaire : celui de la création littéraire et de l'imagination libre. Bougre de merdre, enfourchez vos plumes de paon!
Olivier Rachet
Le ciel sans détours de Kebbir M. Ammi
Au cœur des ténèbres, la lumière marocaine.
La narratrice de ce récit est une vieille femme, Fdéla, née avec le siècle au Maroc et parcourue, au terme de sa vie, au sommet d'une des montagnes enneigée de l'Atlas, où elle raconte à Dieu, libérée enfin de ses souffrances, les étapes ayant jalonné son existence. Enfant illégitime, elle est recueillie, après que sa mère fut lapidée par des hommes sans visage, par celle qu'elle appelle Ma Zahra, qui la vendra à Marrakech à Hadj Belghisse, lequel revendra à son tour la jeune enfant à sa tante Hajja Tamo. Esclave des maîtres dont la corruption grandit au fur et à mesure que les colons s'installlent ; à deux reprises, Fdéla se révoltera pour s'affranchir de sa misère. Le récit se clôt sur les émeutes de Fès en 1990. Entre-temps, le lecteur découvre des figures aussi chatoyantes que Selim, le fils de Hadj Belghisse qui proposera à la jeune fille de fuguer, Bidaq le gardien de la Ménara qui collectionne dans sa baraque les cartes postales que ses amis partis en Europe lui envoient, Marlene Dietrich ou Hadj Thami, jeune aveugle de la Koutoubia le nez toujours face aux ténèbres.
Le roman est un va et vient permanent entre les souvenirs de Fdéla et le
temps alangui de la vieillesse. Il constitue un témoignage souvent bouleversant sur l'éternel retour de la misère dans un pays dont on a aussi bien exploité les hommes - ces indigènes ayant combattu à deux reprises les allemands, au côté des soldats français - que les richesses. Il est aussi une méditation sur l'éternel retour du diabolique, qu'incarnent sans doute ces « hommes sans visage » que la narratrice évoque de façon énigmatique dans les premières pages du livre. Colons d'hier, commerçants véreux de jadis, entrepreneurs d'aujourd'hui. Le lecteur se demande qui donc a intérêt à ne pas connaître la richesse de ce qu'il pille. La réponse résiderait alors étrangement dans la présence du père Cyprien, personnage secondaire, qui accueillera un temps Fdéla. Parti de France afin de civiliser des barbares, il se convertira à la langue et à la culture des opprimés.
Olivier Rachet
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EN VITRINE
"Baltique, à pied d'île en île - Carnet de voyage" de Nicolas Jolivot
De l’Allemagne à la Suède en passant par le Danemark, de la ville historique de Lübeck à Öland, « l’île du soleil et du vent », Nicolas Jolivot chemine au fil de paysages qui, sous une apparence calme, feutrée et égale, abritent toutes les nuances dont la nature a le secret et une incroyable diversité de populations façonnées par des siècles de fréquentation de ces paysages.
À travers son voyage au pas lent, avec pour tout bagage un carnet, un crayon, une tente et Wilson le sac à dos, le carnettiste nous invite à partir à la découverte d’un territoire européen bien mal connu de nous.
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