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« La conjuration » de Philippe Vasset

« La conjuration » de Philippe Vasset

Révolution intérieure et transfiguration urbaine

« J’ai tout abandonné : clefs, argent, papiers. » Tel aurait pu être le point de départ du dernier roman de Yannick Haenel, tel est l’aboutissement de La conjuration de Philippe Vasset qui se propose non seulement de ré-enchanter l’espace urbain mais d’accomplir aussi une révolution même des sensations. Le narrateur est un promeneur solitaire qu’inquiète la disparition programmée dans le tissu urbain des terrains vagues, de ces zones blanches et inaccessibles que seuls quelques paranoïaques fuyant les ondes électromagnétiques recherchent peut-être encore. La ville que décrit l’auteur est devenue un réseau complexe de constructions et de bâtiments dont la force centrifuge annexe toujours plus la périphérie de nos villes. La société du spectacle, déjà sous la plume de Guy Debord, s’incarnait dans un aménagement dénaturé du territoire.

En errance, le narrateur retrouve André, une ancienne connaissance, auteur dans les années 80 de thrillers politico-financiers. Face à la déferlante religieuse et à ses innombrables avatars, les deux amis vont conjuguer leurs efforts et partir en quête d’un espace non encore passé sous la coupe de promoteurs véreux et ce, afin d’en confier l’usage à une des sectes de leur choix. Devenu consultant en implantation religieuse, le narrateur mène alors une étude approfondie du terrain dont l’hilarité n’est pas la moindre des réussites. Il sera guidé en cela par une jeune femme, Jeanne, qui lui permettra de s’immiscer dans les recoins les plus inaccessibles de l’espace urbain.

Mais les recherches tourneront cours. Dans une scène mémorable, le narrateur sabordera le projet initial devant la consternation de deux représentants de la Miviludes, organisme gouvernemental censé lutter contre les dérives sectaires. C’est alors que le roman entre, à l’instar de celui d’Haenel, dans une phase éblouissante placée sous le signe de la conspiration et de la quête du sublime à la fois. Grâce au savoir-faire acquis aux côtés de son initiatrice dans l’art de l’effraction, le narrateur déserte l’espace social et tel un virus informatique détruisant à petit feu un réseau, pénètre dans les interstices de la ville, de ses marges les plus reculées. A l’image des moines méditant à l’intérieur d’un cloître, les conjurés qu’entraîne dans sa dérive le narrateur recherchent « l’infinie liberté de n’être personne ». Le rite anonyme accompli par ce roman exceptionnel n’est d’ailleurs pas sans rappeler les conseils, cités par Philippe Vasset, qu’adressait Georges Bataille aux membres de la revue Acéphale conviés à accomplir d’insoupçonnables cérémonies, au pied d’un chêne foudroyé, en plein cœur de la forêt de Marly : « Souviens-toi que la vérité n’est pas le sol stable, mais le mouvement sans trêve qui détruit tout ce que tu es et tout ce que tu vois. » Admirable !

Olivier Rachet

La conjuration, Philippe Vasset
Éditions Fayard, 2013

« Les Renards pâles » de Yannick Haenel

« Les Renards pâles » de Yannick Haenel

L’insurrection des masques

Les lecteurs de Yannick Haenel connaissent le personnage de Jean Deichel qui hante les romans de l’auteur. Dissident de sa propre existence, suicidaire de tout ce qui en lui se rattache au social, au national, à quelque communauté que ce soit qui n’aurait pas érigé l’absolue singularité de la solitude de chacun en dogme, en impératif existentiel. Seul, Jean Deichel l’est, par choix. Chassé de son appartement, il séjourne à l’intérieur d’une voiture prêtée par l’un de ses amis. Il erre dans le XXe arrondissement d’un Paris ayant gardé le souvenir des Communards fusillés lors de la Semaine sanglante de 1871. A l’image de Jan Karski, les spectres du passé hantent la culpabilité d’un présent perpétuel dont l’amnésie est devenue le principal symptôme.

Assoiffé de désertion - la soif est plus forte que le désir d’y voir clair - notre personnage entrera en dissidence absolue après avoir réussi à déchiffrer, gravé sur un simple mur de quartier, le masque du Renard pâle propre aux Dogons maliens auxquels Michel Leiris s’intéressa en son temps et qu’il ralliera dans une insubordination totale. Aussi brûlera-t-il ses papiers, cette identité symbolique qui lui avait été assignée de naissance par un Etat décrit comme étant de plus en plus policier. En témoigne l’anus solaire de ces caméras de surveillance enregistrant la disparition programmée du même, de l’identique.

C’est alors que le récit, dans sa seconde partie fulgurante, dans une prosodie inégalée, entre dans une phase, une phrase musicale insurrectionnelle inouïe qui voit le peuple de Paris et de ses banlieues toujours peu ou prou interdites de séjour, sans papiers au visage recouvert d’un masque africain ou de quelque autre Carnaval renversant l’ordre établi, défiler dans un cortège de masques et défier la police identitaire, la nation et ses cadavres placardés, la République transformée allègrement en un immense baobab célébrant la puissance de peuples bannis, opprimés, rendus enfin à leur gloire irradiante. Yannick Haenel rend ici moins hommage aux damnés de la terre qu’il ne chante, dans une prosodie qui rappelle l’éclat subversif du phrasé de Genet, la beauté quasi sacrée de chaque individualité. Brûler en soi l’identité pour que flamboie le singulier qui me rattache à mes semblables.

Là n’est pas le moindre paradoxe de ce récit qui se proclame, dans le sillage des révolutions arabes et des révoltes indignées du monde capitaliste, révolutionnaire lui-même et émeutier pour que le chaos et le néant, le négatif même de la métaphysique, soit enfin pensé, célébré, joué et joui à la fois. Yannick Haenel en appelle à une révolution culturelle de nous-mêmes, à l’heure où sommeillent en chacun de nous résignation indignée et indignation molle, vaste programme !

Olivier Rachet

Les Renards pâles, Yannick Haenel
Gallimard, 2013

« Entre amis » de Amos Oz

« Entre amis » de Amos Oz

Un monde noyé d’ombre

Nous sommes quelques années après la guerre d’Indépendance israélienne. Ben Gourion est au pouvoir. Des rescapés de la Shoah tentent de fonder une communauté, au sein d’un kibboutz. Cette société utopique dans laquelle l’idéologie marxiste semble avoir supplanté la lecture du Talmud est traversée par des questions collectives et par des élans individuels qui voient les maris quitter leur épouse ou les enfants rêver de solitude ou d’émancipation. Faut-il que les familles élèvent seules leurs enfants ou doivent-ils être à la charge de la collectivité ? Doit-on se plier aux règles du groupe, au devoir militaire et sacrifier ses plus belles années ?

A travers des destins individuels qui peinent à s’affranchir du lien social et de l’impératif nationaliste, Amos Oz nous raconte les peines et les déceptions d’êtres confrontés à un même sentiment de l’irréparable. Du jardinier Tsvi Provizor qui porte toute la misère du monde sur ses épaules à l’électricien Nahum Asherov dont la fille s’est installée avec son ancien professeur d’histoire, au fils de Henia Kalish méditant sur les ruines de Deir Ajloun, un village arabe détruit par l’armée israélienne, en passant par le jardinier Martin Vandenberg dont le rêve d’apprendre à la communauté l’espéranto afin de s’affranchir de la tutelle des nations et de l’Etat toujours oppresseur se verra anéanti ; tous les personnages de ces huit nouvelles bouleversantes sont les témoins d’un monde naissant toujours menacé de s’éteindre.

A l’image de Yotam contemplant dans le village de Deir Ajloun « un puits au milieu des décombres », l’auteur jette un regard interrogateur sur les décombres autour desquelles l’Histoire d’un peuple, d’une nation mais aussi l’histoire propre à chaque individu se construisent. Le motif des échecs qui revient comme un leitmotiv dans ces récits est néanmoins dépassé par la force irrésistible du désir. Nombreux sont les personnages échappant à l’emprise du groupe par un sens tout aussi irréparable de l’amour ou de la simple amitié. « Vaincre l’amour ? » ironise le narrateur à propos du père d’Edna dont la fille est partie s’installer avec son professeur, n’y songez pas !

Olivier Rachet

Entre amis, Amos Oz traduit de l’hébreu par Sylvie Cohen
Gallimard, 2013

« Tout autre. Une confession » de François Meyronnis

« Tout autre. Une confession » de François Meyronnis

L’exception Meyronnis

Cela débute comme un récit d'enfant rebelle ayant eu raison de tous ses dédains puisqu'à l'image de Rimbaud mais aussi de Lautréamont, il s'évade. Affranchissement des codes, franchissement des lignes, avènement à la parole en tant que parole, l'autoportrait que nous livre François Meyronnis dans Tout autre est celui d'un paria ayant réussi à déserter les impératifs catégoriques des familles et des sociétés. Paradoxe ultime de celui qui revendique son appartenance au groupe de ceux qui refusent le commun, le social, l'individu aplani par les idéaux universalistes et égalitaristes des Lumières. François Meyronnis est un autre, tous les autres et se retrouve tout autant dans cette lignée familiale qui le rattache à un prince toscan du XIII e siècle qui aurait commis le sacrilège d'assassiner un prêtre, à ce rebelle corse de la Renaissance, Ferrante della Muracciole, que dans les légendes du peuple Dogon ayant érigé la figure du Renard pâle en mythe des origines de l'écriture.

L'unicité du soi est un leurre qui nie l'absolue singularité des expériences à travers lesquelles on arrive à se dessaisir de l'empire du moi, de la gangue étouffante qui nous assigne à l'identité du même. A l'image des mystiques touchant le puits sans fond du réel, Meyronnis trouve en l'écriture le remède, le pharmakon cher à Derrida, lui permettant de dépasser les limites de sa condition de vivant. Aux mortels qui s'engluent dans le brouillard d'une existence devenue aujourd'hui interchangeable, réduite à une pulsion comptable mortifère, l'auteur oppose la malédiction de celui qui, chamane, sorcier, peintre ou poète, fut élu afin d'embraser à travers les noms l'avilissement de toute langue réduite à la simple tâche de communiquer et de rassembler. A l'instar de Basquiat enjambant son propre squelette pour étreindre en lui la violence du réel contre lequel on se cogne, l'écrivain est celui qui "met la parole en état d'émulsion."

Tout autre se présente ainsi à nous comme le récit d'une scission à l'intérieur de soi mais tout aussi bien à l'intérieur de la République des Lettres elle-même qu'en compagnie de son acolyte, Yannick Haenel, François Meyronnis déserte depuis une quinzaine d'années. Première esquisse d'une histoire de la revue Ligne de risque qui reste encore à écrire, cette confession situe l'entreprise de leurs auteurs en marge de la production naturaliste qui leur est contemporaine et dont Michel Houellebecq, l'homme à la parka, constitue le fer de lance. En s'offrant comme un dialogue intertextuel ininterrompu avec tous les saints ressuscitables à souhait des anciens temps, des taoïstes aux prêtres védiques en passant par les talmudistes mais aussi par Rilke, Heidegger ou Jean Genet, l'oeuvre à la fois singulière et chorale de Meyronnis dont Prélude à la délivrance écrit en collaboration avec Haenel fut l'un des points d'orgue, constitue une exception de ce que la littérature française a pu produire de plus flamboyant depuis Bossuet. Ce qui est grand se tient dans la tempête.

Olivier Rachet

Tout autre. Une confession, François Meyronnis
Gallimard, 2012

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EN VITRINE

Le chat du Rabbin

Le chat du Rabbin

La série de BD culte de Joann Sfar publiée chez Dargaud en 12 volumes a été adaptée par lui-même à l’écran, rappellant à notre bon souvenir les bienfaits du multiculturalisme. Une fable philosophique à la Voltaire évoquant « des chats et des dieux » pour qui le problème n'est pas la religion, mais la façon dont on la vit. Le sépharade chat-philosophe, qui un jour dévora un perroquet et se mit à parler, nous apprend à lui seul sagesse et malice du Maghreb.

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